Thursday, June 16, 2005

 

Faire l'Europe et pas la Guerre !

Au début des années 70, j'ai travaillé à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris. L'ambassadeur s'appelait Christopher Soames, et avait pour femme une certaine Mary, fille de Churchill. A la fin d'un dîner, lorsque l'un des deux époux cherchait à attirer l'attention de son conjoint, il lui lançait son morceau de pain d'un bout à l'autre de la table tout ceci effectué dans un parfait esprit d'humour.

C'est à peu près au même jeu que se livrent aujourd'hui le président Chirac et Tony Blair. D'un coin à l'autre de l'Union, ils se balancent des signes au gré de leurs mouvements d'humeur. Et dans le doute, ils s'emparent carrément du livre d'insultes qui, depuis la guerre de Cent ans, trône sur la table de chevet de chaque dirigeant anglais ou français. La plupart des bureaux de presse britanniques en possèdent leur propre exemplaire ­ tout écorné à force d'avoir servi. Au Conseil européen de cette semaine, il soufflera un vent de crise. Lorsqu'un groupe de pays à la fibre nationaliste aussi développée que les nôtres décident de se réunir, tout accord passe inévitablement par une étape de forte tension. Et la Grande-Bretagne et la France en sont souvent le centre. En 2000, lorsque la délégation britannique arriva à Nice pour l'ultime phase de négociations du traité éponyme, Tony Blair fut convié à un entretien privé avec le président Chirac ce que l'on appelle dans le milieu un «confessionnal». «Dans ces négociations, lui a dit Chirac, il y a deux pays qui ménagent trop leurs efforts : d'une part, la Grande-Bretagne. Et d'autre part, la France.»

Nos deux pays doivent s'investir davantage pour parvenir à une entente sur le budget de l'Union européenne : il en va d'abord de leur propre salut, et par ailleurs, l'atmosphère conflictuelle qui entoure le problème du rabais britannique ouvre sur un malaise encore plus profond sur les contours de l'Europe.

La polémique autour du rabais britannique ne cesse de faire rage : si un pays paye moins, les autres payent automatiquement plus. A l'origine, c'est un problème de proportion et d'équité. Le budget de l'Union européenne fausse en effet la donne pour un certain nombre d'Etats membres. Lorsque François Mitterrand et Margaret Thatcher ont commencé à négocier le rabais britannique, la communauté européenne avait à juste titre convenu que tout pays contribuant au budget de l'Union dans des proportions relativement supérieures à ses richesses, devrait être en mesure de récupérer une partie de la somme. Et c'est le principe qui devrait s'appliquer aujourd'hui.

Il nous faut un système budgétaire équitable, dans lequel chaque pays participe à la mesure de sa prospérité. Trois ingrédients doivent entrer dans la composition de ce cocktail. Le premier, c'est la reconnaissance du fait que certaines nations, et notamment les Pays-Bas, la Suède et l'Autriche paient plus que nécessaire, tandis que l'Allemagne reste, et de loin, le plus gros contributeur de tous.

Deuxièmement, dans notre Union européenne élargie, les fonds structurels devraient être concentrés sur les Etats membres les plus pauvres, sachant en particulier que les plus riches ne sont pas prêts à accueillir une nouvelle augmentation globale du budget de l'Union.

Et enfin troisièmement, une Europe «moderne» aurait tout intérêt à consacrer moins de 42 % de son budget à l'agriculture comme c'est actuellement le cas, au profit de la recherche, de la lutte contre le crime internationalisé, de la politique étrangère et de la sécurité. Les nations qui souhaitent renforcer le soutien à leurs agriculteurs en puisant dans leurs fonds propres devraient pouvoir être autorisées à le faire. L'Union devrait globalement limiter ses subventions dans ce domaine, mais lui consacrer néanmoins plus qu'il ne rapporte à l'Europe en termes de richesses. Il ne faut pas oublier que dans l'ensemble de nos pays, l'agriculture pèse aussi de manière décisive sur l'en- vironnement et l'économie rurale.

Les chances de parvenir à un tel accord sont ténues, et pourtant, c'est une nécessité, parce que les résultats des référendums français et néerlandais révèlent un traumatisme d'une ampleur insoupçonnée au sein de l'Union. Pour nombre d'entre nous, nés après la Seconde Guerre mondiale, et qui avons grandi dans la peur légitime d'un désastre nucléaire, l'Union européenne demeure la plus grande innovation en matière de paix, de stabilité et de prospérité de toute l'Histoire de notre continent. Mais pour tous ces jeunes gens qui, le mois dernier, en France, fêtaient l'enterrement de la Constitution, tout ceci n'est que de l'histoire ancienne. De même, toutes nos priorités d'antan, telles que la liberté de circulation ou le commerce des biens, leur semblent faire naturellement partie du décor.

Ni la France ni la Grande-Bretagne ne se sont donné la peine de proposer une conception moderne du projet. L'Angleterre a une vision assez caricaturale, occultant en grande partie la nécessité d'une Commission et d'une Cour européennes assez solides pour tenir tête à de puissants gouvernements et servir d'arbitre à leurs conflits. En France, l'élargissement est considéré comme une menace. Au vu de ce qu'est aujourd'hui l'Europe unie, démocratique et pacifique , nul doute, cependant, que Monnet et Schumann auraient l'impression de voir leur rêve accompli.

L'«anglo-saxonisation» de l'Europe est un mythe, comme l'est le soi-disant point de vue eurosceptique des Anglais, selon lequel nous serions en train d'être aspirés au coeur d'un super-Etat entièrement piloté par Bruxelles. Or, l'Europe n'est pas en passe de devenir un superpouvoir et encore moins un super-Etat : ni sur le plan militaire (c'est heureux), ni sur le plan économique (c'est regrettable). Et ce ne sont ni le modèle français ni le modèle britannique qui doivent servir de socle à une Europe économique et sociale. La seule réalité dont il faille tenir compte, c'est le déclin de la compétitivité européenne, qui se traduit par une montée du chômage et une nette désaffection à l'égard de la politique. On est en droit de se demander si la génération des actuels dirigeants européens possède une vision et une autorité assez solides pour mener à bien cette mission. Car s'ils échouent, ils ne décevront pas seulement le peuple européen, mais la planète tout entière, dans la mesure où l'Europe a son rôle à jouer dans la gestion des défis qui nous guettent, du problème entre le Moyen-Orient et l'Iran au changement climatique, en passant par la pauvreté dans le monde.

Paradoxalement, les deux pays qui considèrent ces questions d'un même oeil sont la France et l'Angleterre, car tous deux connaissent bien ces enjeux. Leurs dirigeants doivent trouver la force suffisante pour agir en conséquence. Est-ce le conseil que j'aurais donné à Tony Blair si je travaillais encore avec lui ? C'est en tout cas celui que j'aurais eu intérêt à lui donner.

From Liberation in
Les deux dirigeants devraient s'unir afin de renforcer l'UE face aux défis qui la guettent.
Chirac et Blair feraient la paire

Par Stephen WALL

Stephen Wall
ancien conseiller pour les Affaires européennes
au cabinet
de Tony Blair.


jeudi 16 juin 2005
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