Sunday, June 13, 2004

 

L'Heure Bleue

A l'Heure bleue, une boîte du quartier de Pigalle, où chaque soir des nez cassés venaient en roulant des mécaniques, nous avions été engagés pour quinze jours. Après avoir planqué leurs outils de travail, revolvers et autres mitraillettes, derrière le comptoir, les clients s'installaient, lugubres et silencieux. Comme si on se devait d'exhiber une gueule sombre quand on fait partie de la maf! Ils assistaient distraitement à notre tour de chant, sans un battement de cils. Nous chantions du Charles Trenet, dont L'Héritage infernal, où l'on me voyait sauter sur le piano et glisser à genoux sur le couvercle pour finir nez à nez avec Pierre [NDLR: Roche] - nez que nous avions tous deux assez prononcé - derrière son clavier, ce qui faisait un bon effet scénique. [...]

Ces messieurs vêtus de sombre ne se fatiguaient jamais à applaudir, ce qui nous laissait penser qu'ils étaient totalement indifférents à notre spectacle. A la fin du contrat, au revoir et merci, nous avons été heureux de chanter. Devant un public chaleureux, nous étions déjà sur place pour honorer un autre contrat, quand nous eûmes une joyeuse surprise, si l'on peut dire: un employé de l'Heure bleue se pointa dans notre loge pour nous prier, de façon plutôt autoritaire, de reprendre notre spectacle. Ce public qui jamais n'avait daigné nous accorder même une beigne avait fait virer l'attraction qui nous remplaçait en réclamant expressément notre retour! [...] (in mémoires de Charles Aznavour - Flammarion-)

jim

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